mercredi 7 mai 2008

Nietzsche avait raison !

Léonard fils d’une esclave

« Parmi ces artistes, Léonard De Vinci a peut-être été le seul dont l’élévation du regard a vraiment dépassé le christianisme. Il connaît l’ « Orient », l’intérieur aussi bien que l’extérieur. Il y a quelque chose de supra-européen et de tacite qui caractérise tous ceux qui ont vu un trop grand cercle de choses bonnes et terribles. »

La réflexion fulgurante de Nietzsche est aujourd’hui, jour de commémoration de l’abolition de l’esclavage, à prendre au pied de la lettre. Oui Léonard « connaît » l’Orient. Et ce pour une excellente raison : Dans ses veines coule un sang Levantin.
Mettre nos pas dans les pas du Vinci nous donne l’occasion de relire ce passage du Purgatoire de Dante : « L’autre, sorti captif de son vaisseau/je le vois vendre et marchander sa fille/comme un corsaire vendrait quelque esclave ».
Purgatoire auquel fut vouée, il y a un an déjà, une mise à jour que j’estimais indispensable sur la page Wikipédia France dédiée au maître. L’objet de cette modification ? Les origines de sa mère. Origines que toutes les salles de presse d’Occident et d’Orient, d’Amérique et d’Asie et pour finir d’Australie offrent aujourd’hui à leurs lecteurs, sauf en France. Il n’a pas fallu 10 minutes aux maraudeurs pour exclure que celle-ci puisse être une esclave d’origine orientale et revenir à une version convenable, convenue. Qu’ils aillent au Diable en compagnie des modérateurs d’AgoraVox !
Il a pourtant fallu plusieurs années à Luigi Capasso, professeur d’anthropologie à l’Université de Chieti, et Alessandro Vezzosi, critique d’art, pour reconstituer, analyser et déterminer que les empreintes digitales du peintre de la Joconde ne collent pas avec les caractéristiques de celles de ses concitoyens d’Occident (No Match sur l’écran d’Horatio ;-). Mais comment en est-on venu à se poser la question qui fâche : qui était la mère du plus grand peintre d’occident ?
Pour trouver la réponse, il faut se rendre dans les collines de Vinci. Là chaque personne qui s’intéresse d’un peu près à l’histoire des enfants du pays sait qu’il y a cinq cent ans gambadaient sur les chemins menant aux oliviers, aux mûriers, des fils et filles d’esclaves. Chacun sait que son arbre généalogique peut être lacunaire si son aïeule venant de Circassie, de la mer Noire ou des côtes Magrébines n’a fait l’objet d’aucune déclaration au castato. Car l’esclave est imposé, l’esclave coûte, et il est une marchandise dont le commerce ne commence ni ne s’arrête sur le quai des « esclavons » de Venise, mais seulement quand il meurt. Et encore, son maître parfois demande réparation, quand le décès survient lors d’un accouchement, ou lors d’une rixe.
Un jour en consultant les archives de Florence, un homme, il s’agit du directeur de la Librairie Vincienne sise dans le célèbre village Toscan, ne put faire autrement que de s’interroger au sujet de cette Caterina, mère de notre Léonard. Pourquoi, le grand père paternel de notre génie, un paysan roublard, case cette jeune fille chez un voisin du coin après la naissance de son petit-fils qu’il porta sur les fonts baptismaux ? Pourquoi ne retrouve-t-on pas d’autre mention de cette maman, pour qui Freud voue une vraie passion, en dehors de cette déclaration de cession d’une « servante » à un homme libre au fisc ? Ses recherches le menèrent sur la piste Vanni di Niccolo di Ser Vanni. Dans son testament, ce banquier lègue la majorité de ses biens à une institution religieuse et sa maison de Florence à son ami, Ser Piero Da Vinci, le géniteur de notre sujet. En 1451, Vanni décède. En toute logique, on s’attend à voir Ser Piero prendre possession de son bien. Il n’en n’est rien. Agnola la veuve, garde la demeure. Le seul « bien » qui transite se nomme Caterina. Cianchi, notre chercheur, suppose qu’elle fût l’objet d’un troc : Vous restez « chez vous » en échange je prends votre esclave sous mon toit… et lui fait un enfant dans la foulée. Une jolie femme peut-être, sûrement, dont le patronyme, Caterina, sonne comme un nouveau baptême. Il n’est pas inutile de préciser que l’Eglise ne s’offusquait pas qu’une nouvelle âme intègre son giron. Pour leur part, les notaires prenaient soin de stipuler dans les actes d’achat : « appelée depuis peu Caterina », en hommage à Catherine d’Alexandrie, ou Maria, de loin les plus nombreuses, ou Lucia.
Beaucoup de questions et peu de certitude en somme. Dans cette quête, la science moderne a quelque chose à dire. Un fils du pays, Alessandro Vezzosi donc, travaille avec Luigi Capasso sur les empreintes du maître. On discerne celles-ci sur un document quand l’écrivain tente d’effacer une tâche d’encre, sur une esquisse quand le dessinateur en manipule le support avec ses doigts gras, sur une peinture quand le portraitiste abandonne son pinceau pour sa dextre ou senestre. En reconstituant une belle empreinte d’un pouce gauche, l’anthropologiste put distinguer une caractéristique pour le moins éclairante pour notre affaire. Léonard partage son patrimoine génétique entre une population de type européen et oriental. Alors le voile se déchire, quand parcourant les notes des ses carnets le sculpteur de l’ange de San Gennaro nous mène sur le Mont Taurus, aux sources de l’Euphrate. Quand il s’adresse au Sultan et lui propose ses services pour jeter un pont, entre ses deux mondes qui l’habitent, sur la Corne d’or. Quand il nous révèle qu’il prit la mer pour rejoindre Calindra sur l’île de Chypres en partant du port de Kelindresh en Arménie. Qu’allait donc t’il faire dans cette galère ? Mettre ses pas dans les pas de sa mère ? Pourquoi pas. On ne peut douter qu’il aimait cette Caterina, recueillie et enterrée à Milan.
Elucubrations est le mot qui, peut-être, vous vient à l’esprit, car après tout Michel-Ange aussi proposa ses services au monde turc, sans être pour autant d’origine orientale. Et Léonard ne refusa point à la Sérénissime, que je sache, ses services pour stopper en Frioul une éventuelle avancée des janissaires, pas plus qu’il ne refusa ses services aux Français d’ailleurs, je pense au château de Locarno, pour contrer un retour des forces milanaises en Lombardie.
Non, je n’affabule pas. Je vous propose une nouvelle page de lecture de la vie de l’ami de Bramante, du professeur d’anatomie de Buonarroti (là j’en suis moins sûr, mais André Chastel n’écrit rien sans raison), du critique acerbe de Botticelli. La science a parlé. L’histoire aussi, qui sait combien étaient nombreux les esclaves en Toscane au 15ème siècle. Je vous renvoie à mes Guides pour en savoir plus. Et les archives nous réservent encore des surprises, enfin j’espère.
Récemment Elisabetta Ulivi a découvert un document justifiant l’hypothèse d’une entrée en apprentissage chez Verrocchio avant 1469, 5 ans avant, infirmant ainsi la thèse « officielle ». Souhaitons qu’un jour apparaisse un contrat de vente, d’achat, de dotation, c’est cynique je sais, mentionnant le nom de Vinci et de Caterina.
Mais une question me turlupine, pourquoi Léonard De Vinci, « pur Toscan » pour ceux que la vérité froisse, n’a-t-il pas souhaité être enterré sur sa terre natale près des siens ?

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